La récente crise a révélé le malaise de l’agriculture, prise dans les errances et injonctions paradoxales que la société lui impose, à vouloir à la fois des prix, de l’écologie et un modèle familial.
« Nous voulons vivre dignement de notre travail et avoir des prix rémunérateurs ! » Attente légitime ! Pourtant, Eurostat montre que le coût de l’alimentation est plus élevé en France que chez nos voisins et l’analyse des bilans que les entreprises de la chaîne alimentaire y sont plutôt moins rentables. Nous avons donc moins un problème de prix que de coûts, lestés par une fiscalité, un coût du travail et des normes plus lourds que chez nos compétiteurs européens. L’évolution du commerce extérieur de la filière alimentaire le confirme. Et après deux ans d’inflation qui ont vu les prix bondir de 21%, le pouvoir d’achat des ménages n’est pas en mesure de répondre aux espoirs de l’agriculture.
La chaîne alimentaire est l’un des principaux facteurs du réchauffement climatique et du dérèglement de la biodiversité mais aussi un des outils les plus efficaces pour réparer la terre et le climat, notamment par le stockage du carbone, en changeant significativement les pratiques. Le problème est que ces transitions souhaitables sont extraordinairement coûteuses. Elles vont modifier profondément la production, nécessiter des investissements très lourds en matériels et en compétences, et renchérir les prix.
Les sondages ont à nouveau montré l’attachement des Français aux agriculteurs, mais sur un lourd contresens. Eloignés de la terre et abreuvés d’images d’Epinal, les Français aiment une agriculture petite, familiale, paysanne. Alors que la taille moyenne des exploitations est restée limitée, nous abusons du terme infamant d’agriculture industrielle, au mépris de toute réalité et de toute comparaison internationale. Pourtant, c’est bien une taille minimale qui permet à toute organisation, entreprise agricole comprise, d’amortir ses investissements et d’acquérir les compétences nécessaires.
A vouloir à la fois des fermes de petite taille, des prix bas et l’écologie, nous enfermons l’agriculture dans une équation triangulaire insoluble, malgré l’ingéniosité et l’esprit d’entreprise des agriculteurs. Il nous faut sortir de ces injonctions paradoxales et faire des choix.
Encourager le modèle de la ferme familiale tout en exigeant plus d’écologie revient à faire monter les prix. Or, le pouvoir d’achat ne suivant pas, cela nous condamnerait à une alimentation à deux vitesses, à importer et finalement à renoncer à la souveraineté en réduisant la production.
Vouloir à la fois des fermes familiales et des prix contenus pour répondre au pouvoir d’achat atone revient à compliquer la montée en compétences et l’amortissement des investissements nécessaires. En clair, renoncer à la transition écologique.
Toute politique alimentaire devant d’abord se préoccuper des plus précaires, répondre au pouvoir d’achat s’impose. Par ailleurs le défi écologique n’est plus une option ! Il faut donc ouvrir le débat de la taille et du modèle agricole que nous rêvons familial.
Si la ferme familiale continuera d’exister pour des productions limitées et à haute valeur ajoutée, les Français doivent accepter le développement d’entreprises agricoles plus importantes. Libérer et assumer la concentration n’est en rien tendre vers les modèles brésiliens ou américains. Il s’agit d’inventer l’ETI agricole qui aura la puissance pour réaliser les transitions, développer les marchés, générer de la valeur ajoutée.
L’Etat doit porter ce défi. Mais il incombe aussi aux médias et aux distributeurs de l’expliquer aux consommateurs-citoyens. L’agriculture n’a pas besoin de débats hors-sols, de charité ou d’engagements la main sur le cœur, mais de priorités : préserver la planète en délivrant une nourriture accessible et de qualité. Les agriculteurs sont des entrepreneurs. Ils doivent avoir les moyens de nos objectifs collectifs.