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Les Français ne cuisinent plus ?

Les Français ne cuisinent plus ?

La manière de s’alimenter évolue ; les consommateurs font des choix guidés par les contraintes économiques et de temps. En résulte une tendance qui bénéficie au prêt-à-manger, aux services alimentaires et met en difficulté les producteurs agricoles. Pour aider ces derniers, les voix prônant une hausse des prix pour une juste rémunération se multiplient, et les Français sont accusés de ne plus privilégier l’alimentation dans leur budget. Pourtant, la réalité est bien plus ambiguë que ce que les discours politiques et militants veulent nous faire entendre.

 

L’alimentation est plus chère en France

L’Institut Eurostat le montre : le prix payé par les Français pour leur alimentation est notoirement plus cher, d’environ 15%, que la moyenne européenne. On paie plus pour notre alimentation que tous nos voisins directs, à l’exception des Belges, des Suisses et des Luxembourgeois (dont le pouvoir d’achat reste toutefois plus élevé que le nôtre). Cet écart se creuse depuis une dizaine d’années, pouvant atteindre jusqu’à 30% sur des produits comme la viande. Rapporté au pouvoir d’achat des Français, qui est passé sous la moyenne européenne, cela explique le ressenti autour de l’inflation, très dur en France.

Pourtant, à entendre les discours de certains politiques et certaines voix venues du monde agricole, on aurait l’impression du contraire. Rappelons qu’au Salon International de l’Agriculture, Emmanuel Macron déclarait qu’auparavant, on allouait 30% de notre budget à l’alimentation et qu’aujourd’hui cette part ne représenterait plus que 15%, accréditant ainsi l’idée d’une dépense en baisse. Ces propos sont à nuancer ! Si la part du budget a certes baissé, la réalité est qu’en valeur absolue, en euro constant (corrigé de l’inflation), les Français dépensent près de trois fois plus qu’il y a cinquante ans. Alors, pourquoi cette ambiguïté ?

 

Une question de pouvoir d’achat

La richesse des pays, et celle des individus, a considérablement augmenté depuis les années 1960, l’époque à laquelle le Président se réfère. Or, plus le PIB par habitant est élevé plus le pourcentage dédié à l’alimentation baisse. Non pas parce qu’on se nourrit moins, ou qu’on ne paie pas un produit « à sa juste valeur » mais parce qu’une fois qu’on a mangé, on peut dépenser pour autre chose. C’est parce que le besoin primaire de se nourrir est satisfait que les pays les plus riches dépensent plus en valeur mais moins en taux.

La part de l’alimentation dans le budget des ménages a stagné, voire légèrement augmenté au cours des dix dernières années. En revanche, le pouvoir d’achat lui, ne croît plus. La dépense alimentaire en France n’est donc pas un problème de part de budget allouée, mais bel et bien de pouvoir d’achat. Il faut desserrer ce dernier, auquel cas il n’y aura pas plus de dépenses alimentaires en valeur pour payer les magasins, les industriels et les agriculteurs.

 

La démographie et la taille des ménages comme principaux facteurs

La taille des ménages français baisse. On se met en couple plus tard, on fait moins d’enfants, on divorce et on vit plus longtemps. La preuve en est qu’il y a 50 ans, il fallait 32 logements pour loger 100 personnes. Aujourd’hui, il en faut 46. Et sur les vingt dernières années, le nombre de ménages a connu une croissance de près de 20% quand celle de la population n’a été que de 10%. Concrètement : le besoin en fours à micro-ondes augmente deux fois plus vite que le besoin en plats cuisinés individuels.

Du fait de cette situation démographique, les dépenses liées au logement mettent sous contrainte les postes liés à l’individu tels que l’alimentation ou l’habillement.

De plus, 70% des ménages sont des ménages d’une ou deux personnes seulement. Le nombre de foyers monoparentaux augmente, la famille nucléaire traditionnelle « papa-maman-deux enfants » ne représente plus que 11% des ménages. Cela change la nature de l’alimentation.

 

L’externalisation de la tâche de cuisiner

Cuisiner chez soi représente un travail qui ne diffère pas tellement selon le nombre de personnes pour qui l’on cuisine : faire à manger pour cinq ou pour deux prend à peu près le même temps. Sauf qu’avec un nombre de personnes autour de la table qui est en constante diminution et un taux d’emploi plus élevé, l’effort de cuisiner est devenu trop important. On le fait faire par d’autres : qu’il s’agisse de plats cuisinés réchauffés, de restauration ou de livraison à domicile, le gain de temps est désormais privilégié. Un distributeur, Match, considère même que son métier est de faire la cuisine pour ses clients ! Cela signifie que sur 100€ de dépense alimentaire, une part est dédiée aux services, quand il y a cinquante ans, ces 100€ étaient presque entièrement consacrés à l’achat de produits bruts.

 

L’ère du prêt-à-manger

Cette tendance qui se dessine est donc un enjeu pour l’amont agricole, les producteurs, les coopératives : il s’agit de se positionner là où la valeur se développe aujourd’hui, c’est-à-dire les services. Car la valeur sur la production ou sur les premiers éléments de transformation sera durablement contrainte du fait des facteurs présentés plus haut.

Si les Français, plus que leurs voisins, continuent de faire à manger chez eux et se rendent moins au restaurant, la tendance vers ces nouveaux modes de consommation existe et va se pérenniser. On entre progressivement dans l’ère du prêt-à-manger : le potentiel de développement de ce type de produits et de services est considérable !

Aussi, continuer à parler du prix de l’alimentation comme d’un problème qui se trouverait en amont, autour des relations commerciales, c’est passer à côté de la réalité et donc, d’opportunités qui sont pourtant à saisir pour l’avenir.

Philippe Goetzmann & » est une agence conseil qui opère dans le retail, la filière alimentaire et l’économie servicielle. Nous accompagnons les dirigeants dans l’analyse des marchés, l’élaboration de la stratégie, le marketing de l’offre et les relations institutionnelles.

Philippe Goetzmann est administrateur de Ferrandi et de ESCP, préside la commission commerce de la CCI Paris Ile-de-France et est membre de l’Académie d’Agriculture de France.

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