L’appel à la fin de l’élevage intensif paru dans «Le Monde» du 5 septembre est une nouvelle manifestation du décalage entre certaines élites et les réalités des besoins des Français.
Cette tribune discrètement rédigée par l’Association de protection animale L.214 et signée par 200 personnalités réclame au gouvernement la fin d’un élevage qu’elle qualifie d’«intensif», sans d’ailleurs le définir. Elle est symptomatique de notre époque intolérante et péremptoire. Que l’élevage soit questionné est légitime et nécessaire, mais pas de cette façon.
D’abord les éléments lapidaires inscrits dans cette tribune sont très discutables et fort peu étayés. Et derrière l’émotion ce n’est pas la fin de l’intensif qui est recherchée, mais la fin de l’élevage dont les conséquences environnementales et sanitaires seraient pires que le mal décrit.
Ensuite en appeler au gouvernement pour faire cesser un type d’élevage très éloigné des pratiques générales françaises (60 vaches par ferme par exemple) relève de la manipulation la plus grossière de l’opinion. Et affirmer l’élevage contraire à l’intérêt général est une façon pour les auteurs de la tribune de se considérer seuls défenseurs de cet intérêt. On leur préférera le Parlement.
Écoutons les pros, pas les VIP
Enfin, les signataires… Le talent de Nathalie Baye est admirable, Laurent Baffie peut faire rire aux éclats et la voix de Véronique Sanson envoûter les salles de concert, mais pour ce qui est d’alimentation et d’agriculture écoutons plutôt ceux qui savent. Autant demander à un nutritionniste de se prononcer sur les mécanismes de l’avance sur recettes du cinéma, solliciter le président de l’Institut national de la recherche agronomique sur le régime des intermittents du spectacle ou intégrer Christiane Lambert au jury du Goncourt.
Soyons sérieux ! Le sujet est important. S’il est souhaitable de limiter l’alimentation carnée, il faut rappeler qu’en France nous mangeons 330 grammes de viande rouge par semaine pour un maximum recommandé de 500. Autrement dit, de nombreux Français n’en mangent pas assez, et souvent pour des raisons bassement budgétaires qui auront sans doute échappé aux signataires.
Faire progresser l’élevage
Nous serons bientôt 10 milliards ! Revenir à l’agriculture paysanne d’antan est déjà impossible et écologiquement irresponsable. Ce serait surtout un facteur d’inégalité dramatique interdisant par le prix un aliment essentiel à ceux qui ont le plus besoin de retrouver une alimentation équilibrée. Questionner l’excès de viande ou les méthodes d’élevage est utile et progresser un impératif. Mais stigmatiser une profession est injuste au regard des progrès accomplis et dangereux pour la santé de ses clients.
Tous ces signataires sont issus de professions intellectuelles supérieures ainsi que la statistique les nomme. Très sensibles, et tant mieux, aux enjeux écologiques, peu le sont des techniques et des usages sauf les quelques militants, vegan ou alter, dont le lobbying envers le gouvernement n’a rien à envier en moyens et talent à celui de l’agriculture.
Cette tribune illustre jusqu’à la caricature la fragmentation de la société française si bien décrite par Jérôme Fourquet. Ces France qui ne se comprennent pas et ne se respectent plus. Fustiger ainsi l’élevage c’est dénier à tant de Français le droit d’accéder à une viande parfaitement saine et goûteuse, issue d’élevages exigeants.
Standard de vie
C’est aussi par la posture sentencieuse et moralisatrice une nouvelle forme de colonialisme qui autorise ces signataires, dont le talent est admirable mais le militantisme déplacé, à imposer à tous un standard de vie et une façon de penser que leurs revenus seuls permettent.
Les Français, de toutes conditions, ont une conscience de ces sujets, mais non, mesdames et messieurs les signataires de cette tribune, ils n’ont pas tous les moyens de votre conscience. Ils ont droit à la viande, à une bonne alimentation variée et saine, quelles que soient leurs finances. Respectez cela ! Aussi !
Une version de cette tribune est parue dans Les Echos le 9 septembre 2019 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/elevage-intensif-en-finir-avec-les-postures-moralisatrices-1130024