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L'économie servicielle : comment s'en saisir ?

L'économie servicielle : comment s'en saisir ?

Le fait de vendre un bien en tant que service ne se limite pas aux logiciels. Depuis plusieurs décennies, le phénomène est croissant si bien que l’acronyme aaS (« as a service ») est largement répandu aujourd’hui. L’économie sera servicielle ou ne sera pas !

 

Deezer est né en 2007. Alors que la Fnac pensait que son rôle était de nous vendre des disques, nous avons appris à écouter en streaming ce que l’on veut au moment où l’on en a envie.

Dès l’origine, Michelin s’est centrée sur le voyage autant que sur les pneus, avec les guides et cartes. Puis ViaMichelin est créée en 2000 et Fleet solutions en 2009, service de location et d’entretien de pneus pour poids lourds.

Le rôle historique des hypermarchés est de vendre de l’alimentation emballée que l’on cuisine chez soi. Mais les magasins ouvrent désormais des espaces restauration où y acheter des plats juste préparés et les emporter ou les manger sur place.

La mission de Seb était de libérer la ménagère en lui vendant des appareils électro-ménagers. En rachetant 750g International et son portefeuille de 90.000 recettes générant plus de 10 millions de visites par mois, Seb devient un service d’appui à la cuisine.

 

Que comprendre de ces exemples ?

La mise en parallèle de ces exemples illustre que le mouvement serviciel va au-delà des termes à la mode : ubérisation, disruption, numérisation, plateformisation… Il est un peu tout à la fois et bien plus… Le mouvement serviciel, une véritable transformation de l’activité économique qui s’opère dont on peut identifier trois déterminants majeurs.

 

1. Le déplacement de la valeur vers l’aval

La valeur ajoutée (perçue et payée par le client : le value for money ; et non les coûts), se déplace vers le client et au plus près de l’usage qui est fait du produit ou service. Dans l’aéronautique, la valeur du marché des services à l’aviation commerciale dépassera bientôt celui des avions neufs selon Boeing. Dans le retail, l’activité de restauration traiteur permet de regénérer de la valeur ajoutée, et de mordre sur le marché de la restauration hors domicile.

 

2. Le développement d’une logique servicielle trans-sectorielle

Ce mouvement vers les services n’est pas propre à un « secteur ». Il est universel, et touche toute l’économie. Par exemple, des industriels qui vendaient hier de la maintenance industrielle garantissent aujourd’hui la fonctionnalité pérenne et optimale des machines, et leur assurent une seconde vie. La Poste aussi change de métier de service, du courrier ou de la banque très disruptés, aux livraisons e-commerce, à la dépendance seniors ou au coffre-fort électronique sécurisé.

 

3. Le basculement vers l’usage du client

On ne produit plus des biens ou services pour les vendre après, augmentés de plus ou moins de services. C’est le client (en B2B comme en B2C) qui exprime désormais des besoins le plus souvent immédiats ou personnalisés. Ici aussi on est passé au bottom-up ! Ainsi, même une marque aussi diffusée qu’Adidas permet la personnalisation des Stan Smith. Et Philips lighting est devenu Signify et ne vend plus les mêmes ampoules à tous, mais la lumière à chaque collectivité cliente.

 

Désormais le métier que chaque entreprise exerce doit être défini non plus par le produit qu’elle fabrique mais par l’usage qui en est fait.

En résumé : 

  • le service est optimisé par le numérique ;
  • le numérique change la manière de délivrer le service ;
  • le produit est un élément du service global ;
  • la relation-client et la proximité humaine deviennent rares donc fondamentales ;
  • et l’accès à la ressource « data » est primordial pour optimiser la relation-client.

 

Comment caractériser cette métamorphose servicielle ?

Il n’y pas de terme qui fasse l’unanimité pour qualifier cette évolution. Preuve de la complexité et de la nouveauté du sujet.

Je propose la « métamorphose servicielle » par analogie à la métamorphose qui permet à un animal de devenir un autre soi-même en réorganisant l’agencement de ses organes.

Mieux qu’une définition, une illustration : une entreprise peut vendre des machines d’embouteillage, mais elle peut aussi garantir une capacité de production pour des usines d’embouteillage ; elle est alors dans une logique servicielle.

 

Quatre caractéristiques et quatre écueils

L’économie servicielle se distingue profondément par quatre éléments majeurs rarement présents dans l’économie classique:

  1. La vente non pas d’un usage seul mais d’une performance d’usage (on vend le résultat) ;
  2. Une vraie relation avec le client (ce dernier pouvant s’impliquer dans le design et la production) ;
  3. Des contrats de longue durée (pas de « one-shot » ; des formats plus durables) ;
  4. Une redistribution du risque entre acheteur et vendeur (l’entreprise offre au client une garantie sur les résultats).

Mais ce qui est simple à dire est particulièrement dur à mettre en œuvre car les entreprises font face à quatre types de difficultés.

  1. Des difficultés stratégiques ou de business model : les dirigeants peuvent identifier le besoin mais être incapables d’y répondre tant le mouvement est incompatible avec les moyens disponibles et les enjeux à court terme. On peut blâmer Kodak de ne pas avoir transformé son business model à temps, mais qui l’aurait fait ?
  2. Des difficultés éco-systémiques : puisqu’il s’agit plus d’un éco-système d’entreprises que d’une seule, il faut une maturité globale de cet ensemble pour bouger. Seul, sans partenaires, l’entreprise ne peut évoluer. Il y a là d’ailleurs sans doute un angle pour des politiques publiques ou du moins collectives.
  3. Des difficultés culturelles liées aux habitudes internes : Georges Fischer, Président de Motorola, déclarait en 1980 que « les organisations ne sont pas faites pour servir le client, mais pour préserver l’ordre intérieur. C’est un fait, la culture de l’entreprise et sa structure sont lourdes et se perpétuent indépendamment du besoin du client qui évolue bien plus vite. C’est le plus difficile à changer, et la difficulté est proportionnelle à la taille des groupes. Nombreux sont ceux qui créent des filiales ad hoc pour s’auto-disrupter. Gecina l’a ainsi fait pour avancer sur le flex-office et le gérer comme de l’hôtellerie.
  4. Des difficultés techniques ou juridiques liées notamment aux data : l’économie servicielle suppose la coopération et le partage d’informations entre acteurs. Or, les acteurs veulent garder la main sur les plateformes de données, et sont souvent en contrainte juridique de le faire.

 

En complément, il convient d’observer que :

  1. les business models ne sont pas encore définis ou pas encore rentables dans la plupart des cas ;
  2. les actifs immatériels sont très importants dans cette économie : notamment le portefeuille client, garant du flux et la marque garante de la notoriété et de la réputation !
  3. les business models serviciels reposent sur des écosystèmes larges. A titre d’exemple, on peut citer Real Estech Europe (200 start-up et 50 acteurs de l’immobilier) ;
  4. ne pas être serviciel, c’est prendre le risque de se faire ostraciser. La bascule est difficile à faire et l’entreprise peut être tentée de la retarder ; mais l’aborder en seconde position, c’est souvent déjà perdre ;
  5. enfin, se disrupter, c’est souvent la volonté d’un homme, le chef d’entreprise, qui impose sa vision face aux freins et aux certitudes.

 

Une réponse aux enjeux socio-économiques de la France

La métamorphose servicielle peut être un des remèdes à nos fractures, sociale, territoriale, environnementale, et être le levier du rétablissement du commerce extérieur !

Sur le plan social, le serviciel est une opportunité pour recréer les emplois perdus de la désindustrialisation ! Fondée notamment sur les savoir-être, elle ouvre un nouvel horizon aux décrocheurs et offre des débouchés à nos compatriotes en manque de qualification. Ce n’est pas un vœu pieu, la grande majorité des chauffeurs de VTC l’illustre chaque jour.

Là où agriculture et industries étaient historiquement et intrinsèquement liées à la géographie puis aux infrastructures, le service s’en exonère. Il peut donc relocaliser de la valeur et la répartir. Les services s’installent là où est le talent et là où est le client. Il y a 15 ans déjà, Wisecom a réussi le pari d’installer des centres d’appel dans la capitale ! Et devant nous, c’est aussi une opportunité pour résorber la fracture territoriale. Au lieu de penser infrastructures coûteuses comme le réseau secondaire de la SNCF, la question de la mobilité dans les campagnes, sous les feux de l’actualité, n’a-t-elle pas des réponses servicielles, entre voiture autonome, BlaBlaCar, VTC… ? Des réponses plus agiles et moins chères.

Le serviciel est aussi une façon habile de répondre aux enjeux du développement durable. Défini par l’usage, le service rendu fait la synthèse entre efficacité économique et efficacité écologique. Si Ikéa développe la location longue durée comme il l’a annoncé, il est permis de penser que ce ne sera pas tout à fait les mêmes meubles et que leur seconde vie sera assurée. Plus largement, l’économie de l’usage amène le gestionnaire d’un parc de matériel à placer des produits plus durables et moins énergivores.

Enfin, le serviciel est un enjeu majeur de compétitivité des entreprises et de l’économie française. Il faut rappeler que l’excédent de la balance des échanges de services s’est récemment réduit : Il a fortement chuté de 2013 (€30 mds) à 2016 (€17 mds). Or, il y a des opportunités formidables dans le monde pour les savoir-faire français. Et les contrats peuvent être très rémunérateurs : Boeing a acquis la plateforme 3DEXPERIENCE de Dassault Systèmes pour 1mds$ !

 

Réussir la métamorphose servicielle : changer de logiciel !

Face à cette métamorphose, il nous faut changer de logiciel, changer les lunettes avec lesquelles nous regardons l’économie !

Fondée d’abord sur le client et ses usages, l’économie servicielle valorise les flux et non plus les assets et les stocks : c’est ainsi que la capitalisation boursière de Booking est 8 fois celle d’Accor et Amazon pèse 3 fois Wal-Mart ou 60 fois Carrefour. C’est ce qui explique aussi l’importance de la marque et du portefeuille-client vu plus haut :

x Les soft skills, savoirs-être (re)deviennent majeurs

x Contrairement à l’idée générale selon laquelle les Français ne paieraient pas le service, il faut constater que les esprits évoluent. Les jeunes notamment, se détachant de la propriété, montrent qu’ils sont prêts à payer, la livraison lors du Black Friday, le streaming, le vélib… C’est un gisement de valeur !

x Il faut adapter nos normes juridiques, fiscales et sociales car elles entravent l’évolution. Héritées de l’âge industriel où le travail pouvait être lissé et anticipé et donnait des « stocks », celles-ci ne répondent pas au besoin d’immédiateté de l’économie immatérielle et à son évolution rapide. On ne peut anticiper un travail dont la valeur produite est immédiatement consommée ! Ou, dans un autre registre, les étoiles officielles de nos hôtels répondent à une obligation de moyen quand les notes de Booking saluent une obligation de résultat : Value for money !

 

Cet article est issu de la présentation de la prise de position de la CCI Paris Ile-de-France : https://www.cci-paris-idf.fr/fr/prospective/numerique/economie-servicielle

Philippe Goetzmann & » est une agence conseil qui opère dans le retail, la filière alimentaire et l’économie servicielle. Nous accompagnons les dirigeants dans l’analyse des marchés, l’élaboration de la stratégie, le marketing de l’offre et les relations institutionnelles.

Philippe Goetzmann est administrateur de Ferrandi et de ESCP, préside la commission commerce de la CCI Paris Ile-de-France et est membre de l’Académie d’Agriculture de France.

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