+33 6 18 13 36 95
Image
Covid-19 : géographie et parts de marché

Covid-19 : géographie et parts de marché

Les parts de marché, très volatiles dans la crise, procèdent aussi des dynamiques géographiques. Décryptage.

Tous les acteurs de la filière alimentaire scrutent l’évolution des chiffres d‘affaire et des parts de marché, complètement erratique en ces temps de Covid-19. Habitués à une boussole très précise, beaucoup sont perdus. C’est important, ces chiffres conditionnant les moyens mis en œuvre, moyens humains, commandes, chaînes logistiques.

 

Pourquoi la crise redistribue-telle les parts de marché ?

Laissons ici de côté la question de la proximité, très bien expliquée ailleurs, pour nous centrer sur la question géographique.

Chaque enseigne à ses points de force géographique, Auchan dans le nord, Casino (enseigne) dans le sud-est, U ou Leclerc dans l’ouest, Cora dans le nord-est, Franprix à Paris… C’est le poids de l’histoire. Ces pondérations sont aussi le fait des formats. Les grands hypers nécessitent de grandes agglomérations là où les petits hypermarchés et supermarchés sont adaptés aux zones balnéaires et petites villes. Proximité dans les villes. Chaque format a aussi ses champions.

Or la répartition géographique des Français varie dans le temps, notamment en fonction des congés, ponts, jours fériés… Ces vacances bougent dans le temps, selon le calendrier religieux et le calendrier scolaire. Ces effets de décalage calendaire sont bien connus dans les enseignes notamment pour l’écriture des objectifs journaliers qui permettent le cadencement des commandes et de la charge de travail. Mais au global de l’année, ils n’ont pas ou peu d’incidence et évoluent peu d’une année sur l’autre, les rotations se compensant les unes les autres.

Cette année, rien de cela. La géographie française s’est figée le 17 mars et cette carte va durer. Jusqu’au 15 mai dit-on. Et le Président de l’Assemblée Nationale plaidant pour ne pas permettre les mouvements des ponts de mai (JDD 12/4), il est même permis d’imaginer cette situation bloquée jusque fin mai.

 

Quel effet ?

L’annonce du confinement a changé la carte de France, provoquant un exode des métropoles et d’abord de Paris vers les campagnes et par conséquent une forte évolution de la consommation balnéaire, à un moment de basse saison. Nielsen a ainsi relevé au début du confinement jusque +70% à Arcachon ou +56% à Deauville ou Le Touquet.

Cette répartition inédite de la population sur le territoire est donc désormais figée. La semaine du 30 mars devrait servir de référence. Semaine complète stabilisée des effets de stockage et de réglage tant des clients que des distributeurs, elle a donné une répartition des parts de marché que l’on peut considérer comme fiable. Sauf surprise du confinement ou évolution nette du côté de l’offre, cette répartition est donc partie pour durer. Ce sont bien les parts de marché qui devraient durer. Pas leur évolution !

Cette situation stable va être comparée à une situation très volatile l’an dernier en cette période.

 

On l’a compris, les congés de printemps ou les ponts de mai devraient n’avoir aucune incidence cette année. Or ils en avaient une. Dans l’ordre chronologique :

La zone B (Hauts-de-France, Grand-Est, Normandie, Bretagne, Pays-de-la-Loire, Centre-Val-de-Loire, PACA) était en congés du 6 au 23 avril 2019. Ainsi, notamment pour le Grand-Est et les Hauts-de-France il y aura un apport de CA conséquent et une perte pour les zones balnéaires et les stations de montagne.

La zone A (Nouvelle Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté) était en congés du 13 au 29 avril 2019. Ici, l’effet devrait être positif pour la Bourgogne-Franche-Comté. Plus neutre ailleurs, les régions étant elles-mêmes des zones de vacances.

La zone C (Ile-de-France, Occitanie) était en congés du 20 avril au 6 mai. L’effet est ici très fort, particulièrement en Ile-de-France où la population retenue amènera un bonus important en consommation et un déficit significatif pour les zones balnéaires surtout (moins en montagne à cette date).

Pâques était le 21 avril en 2019, une semaine plus tard que cette année. Comme l’Ascension.

Les 1er et 8 mai 2020 tombant un vendredi, ils étaient l’occasion rêvée d’un départ des villes.  Là encore, les villes, le nord, l’est vont donc bénéficier d’un surcroît de chiffre d’affaires (infographie : Olivier Dauvers, source Kantar).

 

Qui sera avantagé ?

La P3 Kantar (24/2-22/3, donc avec même pas une semaine de confinement) a donné Intermarché et Système U grands vainqueurs de la période, tirant bénéfice d’une présence significative en proximité et en ruralité. Notamment dans l’ouest pour U.

Pourtant tous les réseaux de proximité n’en ont pas bénéficié, en particulier Franprix et Monoprix, dont la progression liée à la fermeture des restaurants était compensée par l’exode des parisiens à la campagne. On voit bien ici que la situation va s’inverser pour eux, aucun parisien ne pouvant profiter des vacances et des ponts.

Même situation probablement pour les enseignes Cora, Match ou Auchan, dont les clients du nord et de l’est ne partiront pas. Idem pour les hypers Carrefour, Auchan et Leclerc très présents autour de Paris, qui devraient un peu moins souffrir.

 

Retour à la normale ?

La sortie du confinement se fera progressivement à partir du 11 mai. Il faudra donc un peu de temps pour un retour à la normale des parts de marché, d’autant qu’il restera des effets de longue traîne liée à l’activation des programmes de fidélité et l’activation digitale des nouveaux clients des drives.

De plus, ce retour à la normale va vite se heurter aux congés d’été. Serons-nous complètement libres de nos mouvements ? Rien n’est moins sûr. Et même libres, entre crainte sanitaire et attention au pouvoir d’achat, il semble peu probable que les vacances soient un statuquo ante d’autant que la restauration va rester sous contrainte. Les Français envisagent moins, voire plus, d’aller vers des destinations exotiques. A l’inverse, il est presque acquis que la fermeture des frontières va durer et empêcher le tourisme, provoquant ainsi un resserrement de la taille du marché (toutes choses égales par ailleurs).

Les nombreux supermarchés et hypermarchés situés en zone balnéaire, qui y font une part conséquente de leur chiffre d’affaires annuel et de leur rentabilité vont ainsi souffrir, notamment les indépendants, très présents ici. Et à l’inverse les zones habituellement désertées retrouver quelques couleurs. Les parts de marché n’ont pas fini de bouger et n’auront jamais autant été tributaires de la géographie des implantations.

Ces analyses en temps de Covid-19 seraient simple curiosité si elles ne touchaient que les chiffres.

Mais cela va plus loin. On ne consomme pas la même chose en France, en Lorraine ou en bord de mer, chez soi ou en vacances. Le chiffre d’affaires ne se fera pas au même endroit, il ne se fera pas non plus avec les mêmes produits ! Il ne se fera pas, enfin, avec le même effectif. Il y aura moins besoin de saisonniers sur les côtes et sans doute moins de possibilités de vacances pour les collaborateurs de la distribution des espaces désertés l’été. Ça se prépare.

Philippe Goetzmann & » est une agence conseil qui opère dans le retail, la filière alimentaire et l’économie servicielle. Nous accompagnons les dirigeants dans l’analyse des marchés, l’élaboration de la stratégie, le marketing de l’offre et les relations institutionnelles.

Philippe Goetzmann est administrateur de Ferrandi et de ESCP, préside la commission commerce de la CCI Paris Ile-de-France et est membre de l’Académie d’Agriculture de France.

Partager ce contenu :