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Baisser les prix pour mieux manger

Baisser les prix pour mieux manger

Mieux manger est une question au cœur des enjeux de société. Les réponses les plus communes pointent la qualité des aliments et une course au prix bas qui la dégraderait. Cette lecture est non seulement fausse et incomplète, elle est de plus dangereuse.

 

Quand on parle d’alimentation, il faut rappeler que le terme renvoie à la fois aux pratiques et aux produits. Le « mieux manger », la qualité de l’alimentation relèvent donc autant de l’évolution des pratiques que des aliments eux-mêmes.

En France, l’offre de produits est de très bonne qualité sanitaire – ça commence par ça – et organoleptique, et elle est sans doute meilleure qu’elle n’a jamais été et probablement la meilleure au monde. Rappelons simplement que le risque létal lié à l’alimentation a été divisé par 100 en 60 ans et que l’espérance de vie a gagné 12 ans sur la même période.

À l’inverse, les pratiques alimentaires se dégradent avec le déclin du repas à table, le développement de la consommation « on-the-go », la baisse des produits bruts au profit des aliments transformés qu’amène la perte de la pratique de la cuisine devenue loisir occasionnel.

Il est inutile ici de fustiger le temps qui passe. Observons que cette évolution a un fondement démographique. La taille des ménages a fortement baissé depuis 50 ans, et ça continuera. La part des foyers monoparentaux a doublé en 25 ans. Les femmes travaillent beaucoup plus aujourd’hui que dans les années 70. Ainsi, le niveau d’effort consenti pour réaliser en semaine un plat mijoté, comme un pot-au-feu par exemple, pour 5 personnes était acceptable en 1975 et ne l’est plus aujourd’hui.

Rendre accessible le bien manger pour les familles n’est pas une question d’offre, de disponibilité de produits. C’est une question de prix et d’accompagnement éducatif.

 

« On n’est pas là pour faire maigrir les maigres ».

Ayons à l’esprit que le sujet doit cibler les populations les plus exposées à la malbouffe, aux problèmes de carence comme d’obésité. Il est ici question des quartiers populaires ou défavorisés, des populations peu acculturées au sujet ou dont les moyens interdisent la montée en gamme vers des produits plus qualitatifs.

Il est donc impératif de conjuguer bonne alimentation et consommation de masse, sauf à passer à côté du sujet. C’est en outre une obligation morale.

Ainsi, les discours tournant autour du « on ne dépense pas assez pour l’alimentation », qu’ils soient philosophiquement justes ou pas, sont disqualifiés puisque ceux qui ont besoin d’améliorer leur alimentation sont dans l’incapacité de suivre cette voie. Au reste, le budget alimentaire des Français est tout à fait normal quand on le compare à nos voisins et à l’histoire. Les mouvements qui se réclament de la bonne alimentation et tendent à faire de leurs labels ou marques une norme sociale en plaidant pour une hausse du budget desservent ainsi la cause qu’ils prétendent embrasser. Car ils excluent ceux qui ont le plus besoin de bien manger.

La question de la bonne alimentation doit être posée en fait en intégrant le prix comme une contrainte à respecter absolument.

 

La vraie question est : comment bien manger avec un petit budget ? 

Quand on sait que toute la filière travaille avec des marges serrées, l’équation n’est pas simple. Il y a pourtant des solutions.

Pour vendre moins cher il va falloir produire moins cher. Produire plus simple est une piste, en simplifiant les recettes, réduisant les ingrédients, allégeant les process, quitte à raccourcir les dates limites de consommation. Reprendre le chemin de la massification en est une autre. En se développant depuis 15 ans, l’offre « bonne alimentation » s’est surtout atomisée, faisant grimper les coûts de complexité de la filière.

La réduction du gaspillage alimentaire est un levier majeur. Le travail est largement fait au niveau des entreprises, à l’inverse du gaspillage dans les familles qui porte la plus lourde part. Il y a là un sujet de législation quant aux dates, de formation quant à la gestion de son réfrigérateur, mais aussi un travail collectif de la filière pour proposer des produits qui se gaspillent moins. Il nous faut nous interroger sur les lots, les portions, etc, en affrontant la contradiction avec l’enjeu des emballages. Par exemple, si 4 barquettes de 2 tranches de jambon se gaspillent sans doute moins qu’une barquette de 8, l’emballage est multiplié par aussi. Il reste que la valeur qui n’est pas jetée doit pouvoir se retrouver dans une meilleure qualité de produits. Il faut encourager l’achat des produits bruts, les plus riches nutritivement. Dans une société qui a de moins en moins de temps pour cuisiner, cette orientation est pourtant à contre-courant. Elle suppose un accompagnement : le développement d’outils pédagogiques, de solutions servicielles voire de paniers repas.

 

Vive la « shrinkflation » !

Cet anglicisme désigne le fait de réduire le grammage d’un produit en maintenant le prix, faisant monter le prix au kilo. La pratique est dénoncée par les associations de consommateurs et il est vrai qu’elle est rarement bien utilisée. C’est pourtant un levier alors que nous mangeons trop et que la plupart des grammages standards ont été fixés il y a 50 ans alors que nos besoins physiologiques étaient supérieurs. Passer par exemple un yaourt de 125 à 100g serait une bonne façon d’adapter le grammage au besoin de 2022, en gagnant 20% de valeur pour redresser les marges de la filière et améliorer les recettes, voire d’investir dans l’éducation.

 

L’éducation alimentaire est un immense défi, portée par l’État comme par les entreprises. L’alimentation est une combinatoire de nombreux produits issus d’entreprises diverses. Ainsi se mobiliser pour l’accès à la bonne alimentation suppose des coopérations entre entreprises complémentaires ou concurrentes car leurs produits se mélangent dans l’assiette.

La filière alimentaire s’est laissé entraîner depuis au moins quinze ans dans la voie du moins mais mieux. Cette orientation avait le mérite de créer de la valeur en répondant aux attentes nombreuses d’une partie plus engagée de la population. Cela a entraîné un creusement de la fracture alimentaire.

Et si la responsabilité de la filière n’était pas de vendre mais de nourrir ? C’est-à-dire de considérer le produit comme un élément d’un service plus large qui est « bien s’alimenter » ? Nous trouvons là de nombreuses poches de valeur, par la simplification, la coopération, les services. Assurément un défi à relever, d’enjeu économique majeur et d’enjeu de société fondamental.

 

Une version de cette tribune est parue dans l’édition Cahier-Tendances Vitalité de Paris&Co en octobre 2022 : https://www.parisandco.com/publications/cahier-tendances-vitalite/

Philippe Goetzmann & » est une agence conseil qui opère dans le retail, la filière alimentaire et l’économie servicielle. Nous accompagnons les dirigeants dans l’analyse des marchés, l’élaboration de la stratégie, le marketing de l’offre et les relations institutionnelles.

Philippe Goetzmann est administrateur de Ferrandi et de ESCP, préside la commission commerce de la CCI Paris Ile-de-France et est membre de l’Académie d’Agriculture de France.

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