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2021, année du rentail ?

2021, année du rentail ?

Il y a quelques années encore le retail alimentaire, fondé sur le discount, définissait son métier comme « vendre de plus en plus d’articles, de moins en moins cher, à de plus en plus de clients », comme le disait le claim interne d’une enseigne d’hypermarché.

 

Cette équation, depuis bien 15 ans, est intenable. La démographie n’est plus assez dynamique pour porter la croissance, nos besoins matériels sont largement pourvus, et les ressources de la planète définitivement limitées. Dans ce cadre la baisse continue des prix est mortifère. Mais l’inflation n’est pas une solution non plus. Ce ne sont pas les prix qui doivent monter mais les revenus générés par le produit. Nuance.

 

La vente, c’est fini

En fait c’est le premier terme de l’équation qui est largement caduque. « Vendre » trouve aujourd’hui sa limite. Pour les raisons évoquées précédemment mais aussi car la vente simple suppose une relation éphémère, le moment de la transaction, fondée sur le produit.

Certaines enseignes essayent d’autres modèles en allant sur le champ de la location. Lokéo devenu Boulanger Location fait de la location longue durée de matériels électro-domestiques. L’Atelier Bocage propose une forme d’abonnement chaussures suivant la voie tracée par de nombreux pure-players tels que Le Closet. Le luxe n’est pas en reste avec des marques comme Une Robe Un Soir ou Les Cachotières.

Le mouvement est pris mais souvent incomplet car toujours fondé sur le produit. Or la majorité des besoins ne sont pas matériels même si, dans l’histoire, on les a traduits ainsi. Personne n’a besoin de machine à laver, mais de linge propre. Personne n’a besoin d’un robot ménager mais de bons petits plats. Personne n’a envie de skis, mais de skier. On peut multiplier les exemples. En fait, le produit n’est qu’un élément du service dans la quasi-totalité de nos activités. Decathlon montre la voie avec audace, notamment en Belgique avec l’opération « We Play Circular » où tous les matériels peuvent être loués dans un package global, permettant ainsi d’essayer les produits et même de tester des sports avant d’y investir.

Au sortir d’une crise qui aura rincé le pouvoir d’achat comme porté au paroxysme la conscience écologique, il est probable et souhaitable que 2021 soit l’année 0 de l’avènement du « Rentail ».

 

Une logique servicielle créatrice de valeur

Le développement massif de la logique servicielle est une formidable opportunité de valeur pour les commerçants, et notamment les hypermarchés. C’est aussi la clef du découplage entre croissance et captation des ressources. En clair le premier levier d’une croissance frugale.

Depuis plus d’un siècle, agriculteurs, industriels et commerçants ont fait des progrès gigantesques de productivité pour vendre peu cher des produits dont la productivité est en fait désastreuse. L’équipement de nos cuisines a considérablement progressé et pourtant, avant la Covid, elles produisaient 14% de repas en moins qu’il y a 20 ans. Le temps d’utilisation dans la vie de nos outils de bricolage est ridicule. Il n’y a guère que nos appareils électroniques dont nous saturons les capacités de production (pour prendre un terme économique). Ils sont, au reste, vilipendés pour leur obsolescence programmée alors qu’ils délivrent bien plus d’effets utiles que nos équipements qui durent très longtemps surtout parce qu’on ne les utilise pas. En ce sens, nos vélos d’appartement et autres machines à pain sont bien moins écologiques que le dernier smartphone. Parce qu’on les produit… pour n’en rien faire ou presque.

Ainsi le « Rentail » doit permettre au distributeur de délivrer un service, de multiples services, à partir d’un seul produit, et ainsi maximiser à la fois ses revenus et la productivité du produit.

Sur ce terrain, bien qu’en retard, ce sont en fait les distributeurs alimentaires qui sont les mieux placés. Les services dont le client a besoin croisent souvent plusieurs univers (la maison et le sport par exemple) et le hardware et le software (la machine et la lessive). Additionner des rayons dans un hypermarché est presque devenu un handicap. Les croiser pour concevoir des services est un levier de croissance. Si on part des besoins du client : se nourrir, s’occuper de soi, s’occuper de sa maison, s’occuper de ses loisirs… on voit bien que les dimensions produit se mélangent.

Le « Tout (les produits) sous le même toit » était questionné. Il trouve ici un sens nouveau en remplaçant « produits » par « services ».

 

Passer du produit au client

En outre, le « Rentail » a cette vertu de focaliser le commerçant sur le client au lieu du produit. « On est là pour faire réussir le client » ! Et pourtant aujourd’hui les fonctions sont définies par le produit : chef de rayon, manager de catégorie, chef de produit… Et l’approche servicielle impose de tenir la relation avec le client dans la durée, mettant le distributeur dans une posture d’accompagnement de la réussite de son client.

La transformation sera cependant complexe. Elle se heurte à des freins culturels et des besoins techniques.

La grande distribution est fondée sur trois piliers métier que le « Rentail » remet en question. Du BFR négatif on passe à un stock à porter pour générer un revenu récurrent. De vendeur de produits achetés, on devient producteur de services. Et il faut passer d’une gestion des flux à une gestion client. Bien sûr, au bout, les KPI changent. Le compte d’exploitation qui indiquait la marge à la catégorie et au produit devient obsolète face au compte d’exploitation client qui connaît la marge et le chiffre d’affaire de chacun.

Côté technique, l’approche « Rentail », en fait circulaire, impose une nouvelle supply-chain. Moins sur l’efficacité des masses, mais capable de tracer toutes les étapes de la vie du produit, unité par unité. C’est une autre chaîne de valeur qu’il faut construire.

Outre toutes les actions nécessaires pour tenir le métier, et ce sera dur encore cette année, je fais le pari que le distributeur gagnant de la décennie sera celui qui aura anticipé le virage serviciel.

 

Alors 2021, année du « Rentail » ?

 

Une version de cette tribune est parue dans LSA Conso le 25 janvier 2021 : https://www.lsa-conso.fr/experts-2021-2021-l-annee-du-rentail,371138

Philippe Goetzmann & » est une agence conseil qui opère dans le retail, la filière alimentaire et l’économie servicielle. Nous accompagnons les dirigeants dans l’analyse des marchés, l’élaboration de la stratégie, le marketing de l’offre et les relations institutionnelles.

Philippe Goetzmann est administrateur de Ferrandi et de ESCP, préside la commission commerce de la CCI Paris Ile-de-France et est membre de l’Académie d’Agriculture de France.

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