« Mangez cinq fruits et légumes par jour ! » Le slogan est rentré dans toutes les têtes mais il est loin de s’être traduit dans les chiffres.
C’est un fait, depuis des années, les volumes de fruits et légumes frais déclinent. Les clients les plus jeunes distinguent mal un concombre d’une courgette et la consommation glisse de plus en plus vers des plats préparés. Il y a des raisons objectives à ce déclin. L’évolution de la taille des ménages ainsi que des rythmes de travail nous amène à faire de moins en moins la cuisine, et en plus petites portions. A cela s’ajoute un véritable problème : les fruits et légumes ont connu depuis 2007 un doublement de leur prix, si bien qu’une heure de smic y a perdu le tiers de son pouvoir d’achat, alors qu’il a augmenté de 12% en marques nationales PGC. Ces produits bruts se renchérissent donc relativement aux produits transformés.
Pourtant, dans cet environnement compliqué, de vraies success-stories méritent d’être observées. En 15 ans, Lidl et Grand Frais ont pris des positions très fortes sur le marché, au détriment des distributeurs en place. Parti de presque rien, Grand Frais pesait en 2024 autant que les hypermarchés Carrefour (avant intégration de Cora) ! Certains observateurs diront alors que c’est normal car c’est un spécialiste. Soit, mais comment expliquer Lidl ? Avec près de 13% de parts de marché volume il fait jeu égal avec Leclerc alors que ce dernier pèse le triple en PGC. Lidl orienté sur les prix, Grand Frais sur la qualité, ces deux modèles ont pourtant en commun une parfaite exécution du métier qu’ils ont choisi. C’est-à-dire une exécution de toute la chaîne en conformité avec la promesse proposée au consommateur avec, à l’appui, une logistique intégrée et adaptée au produit, un sourcing maîtrisé et des commandes pilotées au cordeau. Chacun dans son registre est un grand professionnel. Les clients en ont pour leur argent et le disent : Lidl est n°1 en image fruits & légumes dans les enquêtes Worldpanel depuis plusieurs années et Grand Frais bat tous ses concurrents dans le classement EY des enseignes préférées des Français.
En face, force est de constater que les distributeurs classiques restent sur des organisations perfectibles. A leur décharge, elles s’insèrent dans une organisation de marché particulièrement atomisée. La comparaison du rayons fruits et légumes avec le secteur PGC est ici cruelle.
D’un côté un secteur « industriel » qui a produit en 50 ans une massification considérable des flux, avec une codification parfaite, des gammes stables, une masse de données produit, achat et vente fiables et immédiatement accessibles qui permettent les bonnes décisions. A l’amont, un tissu productif concentré a permis les gains de productivité donc l’ajustement des prix. Une supply-chain le plus souvent intégrée et des gammes homogènes ont écrasé les coûts logistiques.
De l’autre, les fruits et légumes connaissent toujours une codification caisse déficiente, des changements incessants de gammes et de fournisseurs, des approvisionnements très changeants selon les périodes et les magasins, de nombreux intermédiaires, des ruptures de charge et des chocs de température, un métier moyennement maîtrisé en magasin et une information consommateur largement déficiente. Certes, d’importants efforts de structuration ont été menés (citons parmi d’autres Savéol, Rougeline, Blue Whale, Priméale, Perle du Nord…), mais ils ne couvrent pas suffisamment le global rayon et il y a assez d’autres intervenants, de vrac et de changements de gammes pour obérer la qualité globale de la donnée.
Clairement, le parallèle montre un marché structuré et mesuré d’une part et un marché artisanal et atomisé de l’autre, où trop d’acteurs proposant une offre trop fluctuante rendent illisible la mesure de la performance. Certes le produit porte en lui ces spécificités : il est vivant, soumis aux saisons et à la météo. Mais justement, plus c’est compliqué, plus cela suppose d’être rigoureux.
C’est ce que nous montrent Grand Frais et Lidl, chacun a sa manière. Ces deux modèles ont pourtant des limites. Centré sur son métier et sa promesse qualité, Grand Frais privilégie la qualité et le goût, quelle qu’en soit l’origine. Lidl, avec ses volumes colossaux (plusieurs fois le tonnage par référence que peut développer Leclerc – il fait autant de volume avec nettement moins de références) entraîne une forte massification, donc standardisation de la production, toute germanique, qui n’est pas sans effet sur la diversité de nos cultures. Il n’empêche que ces modèles gagnent.
Constatons aussi que certains distributeurs classiques développent désormais des programmes de fidélité en fruits et légumes, compensant chèrement et sans grand succès un déficit sur le métier par du cash-back. Le meilleur levier de fidélisation ne serait-il pas d’abord de bien exécuter sa promesse et que le client en ait pour son argent ?
L’intégration du métier est-elle possible, voire souhaitable chez tous les distributeurs ? Rien n’est moins sûr. Le besoin d’une offre large, l’adaptation à la demande locale comme la liberté des commerçants indépendants, les engagements envers la production régionale en parallèle des schémas nationaux, l’intégration du rayon dans une proposition d’hyper ou supermarché bien plus large limitent la capacité à copier ces modèles. Ajoutons que Lidl comme Grand Frais intègrent largement la production avec une contractualisation poussée guère possible à l’échelle d’un hypermarché.
Face à cette intégration métier qui permet le pilotage précis, les distributeurs doivent monter nettement leur niveau de jeu et professionnaliser l’exécution sur toute la chaîne. Cela concerne les distributeurs, mais aussi tous les acteurs de leur amont. A l’instar du PGC, pour améliorer son pilotage, tant stratégique que quotidien, le rayon doit maîtriser nettement mieux les données et les partager. C’est une condition sine qua non de l’amélioration de la performance face aux concurrents. C’est aussi essentiel pour le benchmark interne et l’identification des meilleures pratiques, références, fournisseurs, etc.
Tous les distributeurs ont un potentiel de croissance en fruits et légumes, parfois considérable. C’est un enjeu business, autant que collectif. Un enjeu de santé par l’alimentation en redressant les performances du rayon. Mais aussi un enjeu de compétitivité collective de la filière pour conjuguer diversité des produits et performance.
Une version de cette tribune est également parue dans LSA le 06 décembre 2025 : https://www.lsa-conso.fr/les-fruits-et-legumes-frais-la-reconquete-par-le-metier-et-la-data-tribune,463535
