+33 6 18 13 36 95
Image
Est-ce que c'est la taille qui compte ?

Est-ce que c'est la taille qui compte ?

Auchan a annoncé la semaine dernière le passage en franchise de tout son parc de supermarchés sous enseigne Intermarché. Si l’annonce a pu surprendre et est en soi une vraie nouveauté dans le paysage, elle est signifiante d’une grille de lecture du métier qui apparaît étonnante en 2025 et particulièrement pour Auchan Retail.

 

En 2017 Auchan avait réuni tous ses formats de magasin, dont les supermarchés Simply Market, sous l’enseigne Auchan, avec certes la précision Auchan Supermarché. Depuis, le groupe n’a eu de cesse d’unifier les outils de back-office et l’organisation dans une logique ominicanale et omni-formats. Il est allé jusqu’à initier dès 2018 le projet des zones de vie qui a abouti tout récemment à la mise en place de 52 zones regroupant les magasins, indépendamment du format. Leur déploiement a commencé le 15 septembre dernier.

En actant une césure de son parc en hypers et supers, Auchan revient à une nomenclature classique, et propose un schéma semblable à celui déjà envisagé en 2015 lors du projet mené avec Système U, les Simply Market devant alors devenir Super U et les Hyper U devenir Auchan (mais aujourd’hui c’est à sens unique).

En 2025, la promesse d’une marque peut-elle être réduite à la surface où elle s’exprime ? Alors que le digital a rebattu les cartes du non-alimentaire, la distinction hyper/super apparaît de moins en moins pertinente et lisible en magasin. Du reste, fort peu de clients sont capables de distinguer ces magasins alors que la plupart des supermarchés développent une offre non-alimentaire souvent pertinente pour les usages courants.

Surtout, cette distinction entre formats, via la surface, fait appel à la largeur et la profondeur de l’assortiment. Un assortiment large, le fameux « tout sous le même toit », était la raison d’être de l’hypermarché qui s’est confondu avec le « tous sous le même toit ». Toutes les catégories sociales se retrouvant peu ou prou dans ces temples de la consommation. Depuis au moins 15 ans, ce « tous sous le même toit » se déliteArchipélisation de la société, développement de la concurrence, hausse des aspérités territorialespolarisation des pouvoirs d’achat ont eu raison de ce « vivre ensemble » du commerce.

Ainsi, sur le long terme, ce n’est plus le métier des grandes surfaces alimentaires classiques qui se développe mais, comme dans d’autres secteurs, celui des marques positionnées qui savent quelle clientèle elles servent et donc quelle offre elles doivent déployer. Leur lecture n’est pas  « surface et largeur de gamme », mais « juste réponse à une cible précise ». La restauration prend des parts d’estomac avec des concepts précis et des offres courtes. Les distributeurs spécialisés ont pris 8 milliards de marché à la GSA en 5 ans, avec là encore des concepts positionnés. Les sucess-stories s’appellent Grand FraisMarie BlachèrePicardLidl, et tant d’autres. La part de la GSA dans les dépenses alimentaires se réduit inexorablement.

Les enseignes GSA classiques, Leclerc, Carrefour, Intermarché, U, Auchan, ont toutes en commun leur indifférenciation. Par le commerce et les acquisitions, elles se battent pour les parts d’un marché en déclin. Grand Frais, Blachère et consorts continuent leur avancée sans opposition.

La France archipélisée va imposer que les enseignes affirment un positionnement plus clair, avec un cœur de cible précis ; la surface, l’offre n’étant que des moyens de l’atteindre. Ces concepts précis devront envisager un développement territorial adapté, selon la typicité de chaque zone de chalandise (démographie, pouvoir d’achat, flux, concurrence, sociologie…). Ainsi, il est probable que le nombre d’enseignes réellement différentes augmente dans les années à venir. C’est d’ailleurs le cas depuis 10 ans.

Le mercato des magasins que nous observons depuis deux ans est parfaitement logique. L’état du marché, le niveau des marges et les investissements colossaux que le retail doit affronter induisent naturellement – c’est presque un réflexe – le déploiement de stratégies de puissance, de domination par les coûts.

La segmentation par la surface est largement présente dans le retail alimentaire dont les marques s’expriment de quelques centaines de m² à près de 20000. Elle répond à des critères internes d’organisation, de management, de logistique… tout à fait respectables et qu’il faut absolument intégrer à toute réflexion.

Pour autant, cette ligne apparaît insuffisante à répondre au besoin d’un commerce de précision en réponse à des populations françaises aux aspirations plus divergentes que jamais et bien moins que demain. Cette consolidation du métier de la grande distribution alimentaire ne semble pas de nature à pouvoir enrayer le déplacement de la consommation vers d’autres circuits, de spécialistes positionnés ou de restauration.

Philippe Goetzmann & » est une agence conseil qui opère dans le retail, la filière alimentaire et l’économie servicielle. Nous accompagnons les dirigeants dans l’analyse des marchés, l’élaboration de la stratégie, le marketing de l’offre et les relations institutionnelles.

Philippe Goetzmann est administrateur de Ferrandi, de ESCP Business School et de l’Institut du Commerce, membre de la CCI Paris Ile-de-France et de l’Académie d’Agriculture de France et expert associé au Club Demeter.

Partager ce contenu :