Jamais avares d’une indignation, toujours commode, plus de 80 parlementaires, ont publié dimanche, dans la Tribune dimanche, un texte appelant à l’interdiction de Shein en France.

Que Shein et ses avatars soient un danger vital et imminent pour le tissu commercial et ce qu’il reste de l’industrie est évident. Qu’il faille stopper l’invasion, au moins pour prendre le temps de la contre-offensive est plus que nécessaire.

Mais dans le concert des critiques contre Shein se mélangent des sujets sans rapport. S’y confondent les questions fiscales et de compétitivité, de sécurité et de santé, et enfin du modèle commercial lui-même.

Shein, comme ses homologues, profite jusqu’à présent d’un régime douanier particulièrement avantageux lié à son modèle de livraison de petits colis directement au consommateur. Ainsi ces colis passent sous le seuil des droits de douane. Il faut bien entendu rétablir des conditions équitables de concurrence en taxant ces produits comme tout autre.

Plusieurs scandales et contrôles massifs ont montré de graves problèmes de conformité des produits. Que Shein doive garantir la parfaite licéité de son offre ne devrait même pas être débattu. Là encore, le modèle qui multiplie considérablement les petits colis rend de facto les contrôles, déjà aléatoires, particulièrement difficiles. Il nous faut, en France et en Europe, revoir notre arsenal.

Enfin se pose la question du modèle commercial. C’est bien cela le sujet, sur le fond et quant à la position des tribunistes et de nombre d’observateurs. Imaginons que ce même modèle livre désormais des produits conformes et taxés de manière équitable. C’est possible. Que resterait-il à dire ? Ce qui resterait alors de cette tribune et de tant d’autres est une posture morale considérant que telle consommation serait bonne et telle autre pas, que tel modèle serait vertueux et tel autre pas, tout cela sans définition. La tribune dit ainsi que « certaines pratiques sont incompatibles avec nos valeurs collectives » : quelles pratiques, quelles valeurs ?

L’émotion légitime confond le modèle et ce qu’il nous délivre aujourd’hui. La réalité est que le modèle répond aux besoins d’une masse considérable de clients. Outre le prix, exploitant une faille et relevant du dumping, le modèle consiste à disrupter la distribution en allant directement de l’usine au consommateur. Il permet aussi des gammes extraordinairement larges et une réponse précise à la demande de chaque consommateur grâce aux algorithmes. Il réduit le stockage, les délais et adapte donc mieux la production à la demande, ce qui est plutôt vertueux. Les livraisons sont faites depuis la Chine par avion, une folie environnementale, ce qui devrait nous faire réfléchir à une imputation du coût carbone au produit (pas que pour ces plateformes), mais imaginons que le modèle soit européen…

Développer une réponse économique européenne. Réduction des intermédiaires, rapprochement du client, offre large, production à bas coûts… ces innovations que développe Shein sont celles que, depuis Aristide Boucicaut, tous les modèles de distribution ont mis en pratique. En ce sens, elles ne sont qu’un prolongement de l’histoire. Et en très large part, les reproches qui lui sont faits ont déjà été adressés, en leur temps, aux précédentes révolutions commerciales, notamment la grande distribution.

Dépollué des questions douanières et de conformité, le modèle apparaît tout à fait pérenne et répondant à une réalité des attentes des consommateurs, qu’il n’appartient à personne de juger, mais à chacun, notamment les élus, d’observer pour y répondre. Alors que faire ?